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Contester un permis de construire : « démontrer » son intérêt à agir est primordial

Newsletter mars 2016

Contester un permis de construire : « démontrer » son intérêt à agir est primordial

 

La jurisprudence récente du Conseil d’Etat apporte enfin des précisions sur l’appréciation de la recevabilité d’un recours contre un permis de construire au vu de l’intérêt à agir du requérant.

Rappelons que le nouvel article L.600-1-2 du code de l’urbanisme, créé par ordonnance du 13 juillet 2013, a redéfini l’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme dans un sens plus restrictif, vers lequel tendait déjà la jurisprudence depuis plusieurs années.

Auparavant, il suffisait d’être riverain d’un projet de construction pour pouvoir le contester, l’intérêt à agir étant alors présumé. Mais la politique actuelle d’incitation à la construction de logements s’est traduite par une limitation des contestations des permis de construire, visant davantage de sécurité juridique.

Dorénavant, un recours n’est recevable qu’à condition que la construction, l’aménagement ou les travaux soient de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de l’immeuble riverain. Autrement dit, la seule revendication d’une illégalité ne suffit plus si le projet en lui-même n’a pas des conséquences directes pour le requérant.

L’enjeu est d’éviter les recours intempestifs voire malveillants, visant uniquement à faire pression sur le titulaire du permis, notamment pour monnayer le désistement d’instance (ce qui n’était pas rare). A cet effet, deux autres mesures ont été ajoutées au code de l’urbanisme : l’article L.600-8 qui encadre les transactions relatives au désistement, et l’article L.600-7 qui introduit la possibilité pour le pétitionnaire de demander des dommages et intérêts si le recours excède la défense des intérêts légitimes du requérant.

Le Conseil d’Etat a explicité pour la première fois cette nouvelle appréciation de l’intérêt à agir dans un arrêt du 10 juin 2015, où il rappelle qu’il appartient au requérant de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Pour autant, il n’a pas à apporter la preuve du caractère certain de l’atteinte.

Réciproquement, il appartient au défendeur qui conteste l’intérêt à agir d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.

Quant au juge, il va forger sa conviction au vu des éléments versés au débat, en écartant au besoin les allégations qui ne sont pas suffisamment étayées.

En l’espèce, les habitations des requérants se situaient à 700m du projet d’une station de conversion électrique d’une capacité de 1000 mégawatts (sur la ZAC Eurotunnel). Si la seule visibilité du projet ne suffit pas à caractériser que les conditions d’occupation puissent être directement affectées, en revanche les nuisances sonores dont se prévalaient les requérants le pouvaient et les rendaient donc recevables à agir.

Plus récemment encore, par un arrêt du 10 février 2016, le Conseil d’Etat a considéré que dès lors qu’un requérant n’apporte pas d’éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir son intérêt à agir tel que défini à l’article L.600-1-2, le recours peut être rejeté par ordonnance de tri, c’est à dire sans même être examiné au fond par le Tribunal.

En l’espèce, les requérants démontraient que leur propriété était mitoyenne et en co-visibilité du projet de construction et arguaient qu’une façade du projet « fortement vitrée » créerait des vues.

La Haute juridiction a jugé que la seule production de l’acte de propriété et du plan cadastral ne permettait pas de démontrer l’atteinte portée par le projet aux conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance, sachant que les requérants avaient été invités à le préciser. La requête pouvait être « triée » dès son introduction pour défaut d’intérêt à agir.

Cela signifie qu’il est capital d’être en possession dès l’introduction de la requête, et avant l’échéance du délai de recours de deux mois, de tous les éléments nécessaires pour démontrer l’intérêt à agir, au risque de voir la requête rejetée pour irrecevabilité sans même faire l’objet d’un débat, et ce irrémédiablement.

Si le contentieux de l’urbanisme a toujours appelé à la vigilance, du fait de la technicité de la matière et des pièges procéduraux, son évolution récente invite donc à accroître cette vigilance en amont, en ce qui concerne l’intérêt même à agir.

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