Depuis plusieurs années, l’action de groupe s’impose comme un outil juridique majeur, permettant à des associations ou des syndicats d’agir en justice au nom d’un ensemble de personnes victimes de préjudices similaires.
Initialement cantonnée au droit de la consommation, cette procédure a progressivement étendu son champ d’application, notamment en matière sociale.
Pour les employeurs, cette évolution représente un tournant.
Jusqu’à présent, l’action de groupe en droit social se limitait principalement à la lutte contre les discriminations et à la protection des données personnelles.
Mais avec l’adoption de la loi du 30 avril 2025, son périmètre s’élargit désormais à l’ensemble des manquements de l’employeur à ses obligations légales et contractuelles.
Quels enjeux pour l’entreprise ? Comment anticiper et se prémunir contre ce nouveau risque juridique ?
- L’action de groupe : définition, origines et évolution
L’action de groupe, ou class action, est une procédure judiciaire permettant à une association ou un syndicat d’agir en justice au nom d’un groupe de personnes ayant subi un préjudice similaire, causé par un même auteur (ici, l’employeur) en raison d’un manquement à ses obligations légales ou contractuelles.
Concrètement, il s’agit d’une action collective, initiée par un représentant (syndicat, association agréée), qui vise à obtenir réparation pour l’ensemble des victimes, sans que chacune n’ait à engager une procédure individuelle.
L’action de groupe a été introduite en France par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, dite « loi Hamon », dans le domaine de la consommation.
Son objectif : permettre aux consommateurs de se regrouper pour obtenir réparation en cas de préjudice causé par une entreprise.
Dès 2016, le législateur étend ce dispositif à six autres secteurs, dont le droit social. La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (dite « loi Justice du XXIe siècle ») introduit ainsi l’action de groupe en matière sociale, mais de manière limitée : seuls les manquements en matière de discriminations (article L. 1134-6 du Code du travail) et de protection des données personnelles (article L. 1134-7 du Code du travail) sont concernés.
La loi d’avril 2025 introduit un élargissement majeur du champ d’application.
Elle étend le champ de l’action de groupe en droit social à l’ensemble des manquements de l’employeur à ses obligations légales et contractuelles.
Exemples de manquements concernés :
- Non-respect des règles de durée du travail (heures supplémentaires non payées, repos non respectés, etc.)
- Non-versement des primes ou indemnités prévues par la convention collective ou le contrat de travail
- Manquements en matière de santé et sécurité au travail
- Non-respect des procédures de licenciement ou de rupture conventionnelle
- Non-application des accords d’entreprise ou des usages
En clair, presque tous les domaines du droit du travail peuvent désormais être concernés par une action de groupe.
- Pourquoi cet élargissement ? Les objectifs du législateur :
- Renforcer l’effectivité des droits des salariés :
L’un des principaux objectifs de l’élargissement de l’action de groupe est de faciliter l’accès à la justice pour les salariés.
En effet, engager une procédure individuelle peut être coûteux, long et dissuasif, surtout pour des litiges de faible montant.
L’action de groupe permet de mutualiser les moyens et d’obtenir une réparation collective, plus rapide et plus efficace.
- Inciter les employeurs au respect du droit du travail :
En élargissant le champ de l’action de groupe, le législateur envoie un signal fort aux employeurs : le non-respect des obligations légales et contractuelles peut désormais entraîner des conséquences juridiques et financières bien plus lourdes qu’auparavant.
L’effet dissuasif est clair : une entreprise qui ne respecte pas ses obligations s’expose non seulement à des sanctions individuelles, mais aussi à une action collective, potentiellement très médiatisée et coûteuse.
- Rééquilibrer les rapports de force entre employeurs et salariés :
Historiquement, les salariés sont souvent en position de faiblesse face à leur employeur, notamment en raison de la crainte de représailles ou de la complexité des procédures.
L’action de groupe vise à rééquilibrer ce rapport de force, en permettant aux salariés de se regrouper et de faire valoir leurs droits de manière collective.
- Quels sont les risques pour les employeurs ?
- Un risque juridique accru :
Avec l’élargissement de l’action de groupe, le risque de contentieux collectif augmente significativement. Une entreprise peut désormais être poursuivie non seulement pour des discriminations ou des manquements en matière de données personnelles, mais aussi pour tout manquement à ses obligations légales ou contractuelles.
Exemples concrets :
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- Une entreprise qui ne paie pas systématiquement les heures supplémentaires peut faire l’objet d’une action de groupe de la part d’un syndicat.
- Une entreprise qui ne respecte pas les règles de santé et sécurité au travail peut être poursuivie collectivement par une association de salariés.
- Une entreprise qui ne verse pas les primes prévues par la convention collective peut être attaquée par un syndicat.
- Un risque financier important :
Les conséquences financières d’une action de groupe peuvent être très lourdes pour une entreprise. En effet, si le tribunal reconnaît le manquement, l’employeur peut être condamné à verser des dommages et intérêts à l’ensemble des salariés concernés, ainsi qu’à prendre des mesures correctives (régularisation des paiements, formation des managers, etc.).
- Un risque réputationnel non négligeable :
Au-delà des conséquences juridiques et financières, une action de groupe peut avoir un impact majeur sur la réputation de l’entreprise.
En effet, ces procédures sont souvent médiatisées, ce qui peut nuire à l’image de l’employeur auprès de ses clients, partenaires et futurs talents.
- Comment anticiper et se prémunir contre ce risque ?
- Auditer régulièrement ses pratiques :
La première étape pour limiter le risque d’action de groupe est de réaliser un audit régulier de ses pratiques en matière de droit du travail.
Cet audit doit porter sur l’ensemble des obligations légales et contractuelles de l’entreprise, notamment :
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- Le respect des règles de durée du travail (heures supplémentaires, repos, congés, etc.)
- Le versement des salaires, primes et indemnités prévues par la convention collective ou le contrat de travail
- Le respect des règles de santé et sécurité au travail
- Le respect des procédures de licenciement et de rupture conventionnelle
- L’application des accords d’entreprise et des usages
- Former les managers et les équipes RH
Les managers et les équipes RH sont en première ligne pour appliquer les règles du droit du travail.
Il est donc essentiel de les former régulièrement sur leurs obligations et les risques encourus en cas de manquement.
- Mettre en place des procédures internes de contrôle :
Pour éviter les manquements, il est recommandé de mettre en place des procédures internes de contrôle, permettant de vérifier régulièrement que les obligations légales et contractuelles sont bien respectées.
- Dialoguer avec les représentants du personnel :
Les syndicats et les représentants du personnel sont souvent à l’origine des actions de groupe. Il est donc crucial d’entretenir un dialogue régulier et constructif avec eux, afin de prévenir les litiges et de résoudre les éventuels différends à l’amiable.
- Conclusion :
Si l’élargissement de l’action de groupe en droit social représente un nouveau risque pour les employeurs, il peut aussi être vu comme une opportunité d’améliorer ses pratiques et de renforcer la confiance avec ses salariés.
En effet, une entreprise qui respecte scrupuleusement ses obligations légales et contractuelles n’a rien à craindre des actions de groupe.
Au contraire, elle peut en tirer un avantage concurrentiel, en se positionnant comme un employeur responsable et respectueux des droits de ses salariés.
Pour conclure, voici les points clés à retenir :
L’action de groupe en droit social s’étend désormais à l’ensemble des manquements de l’employeur à ses obligations légales et contractuelles.
Les risques pour les employeurs sont juridiques, financiers et réputationnels.
Pour anticiper ces risques, il est essentiel d’auditer ses pratiques, de former ses équipes, de dialoguer avec les représentants du personnel et de souscrire une assurance protection juridique.
En cas d’action de groupe, il est important d’analyser la recevabilité de l’action, d’évaluer les risques, de négocier une solution à l’amiable si possible, et de se défendre devant le tribunal si nécessaire.