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12/05/2025 – Témoignages anonymisés, enregistrements clandestins : les évolutions en matière de droit de la preuve en droit social

L’article 1358 du code civil prévoit que « la preuve peut être apportée par tout moyen ».

L’on pouvait imaginer que l’ensemble des preuves, indépendamment de leur mode d’obtention, était admissible devant un Juge.

Tel n’était pourtant pas le cas.

 

Etat de la jurisprudence antérieure : 

La Cour de cassation écartait deux types de preuve à savoir la preuve illicite et la preuve déloyale.

  • La preuve illicite s’entend d’une preuve obtenue en violation d’une loi ou d’un droit fondamental. Ainsi il n’était pas possible de produire en justice.
  • La preuve déloyale est, quant à elle, obtenue à l’insu de l’intéressé ou grâce à des manœuvres ou stratagèmes tel qu’un enregistrement obtenu à l’insu de la personne.

 

Elles ne pouvaient donc permettre au Juge de fonder sa décision.

La frontière entre ces deux notions peut être difficile à appréhender, ce qu’a relevé la Cour de cassation dans son arrêt du 22 décembre 2023, car seules les conséquences sur le sort de l’admissibilité de la preuve sont différentes.

La preuve illicite devait être rejetée tandis que la preuve déloyale était considérée comme irrecevable.

Là encore cette distinction est particulièrement ténue

 

Le droit Européen s’en est mêlé :

La Convention européenne des droits de l’Homme ne consacre pas de principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

La Cour européenne des Droits de l’Homme s’attache à l’égalité des armes entre les parties à un même procès.

Le droit français a alors évolué, au regard du droit européen, en matière de droit de la preuve.

La Cour de cassation a, notamment, déduit l’existence de ce droit du droit à un procès équitable protégé par l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Une telle évolution était indispensable notamment lorsque la charge de la preuve est partagée entre le salarié et l’employeur.

Tel est le cas lorsque le salarié doit, par exemple, apporter des éléments suffisants laissant à penser qu’il n’a pas été payé de ses heures supplémentaires.

Si l’on appliquait les principes visés précédemment, il ne pouvait donc produire en justice des photographies prises pendant son temps de travail, à l’insu de son employeur, de plannings ou de courriels professionnels transférés sur sa boîte personnelle.

En 2020, la Cour de cassation a cependant admis la recevabilité d’une preuve illicitement obtenue.

Pour que cette preuve soit admissible, deux conditions doivent ainsi être satisfaites.

Il est possible alors de produire une preuve illicite ou déloyale pourvu qu’elle respecte deux conditions :

  • Une production indispensable pour pouvoir établir la vérité,
  • Une atteinte à un droit fondamental (droit au respect de la vie privée, droit au procès équitable…) strictement proportionnée au but poursuivi.

 

Plus récemment, la Cour de cassation a eu à s’interroger quant à la recevabilité des enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance dont les finalités et bases juridiques n’avaient pas été communiquées aux salariés. (Soc. 8 mars 2023, n°21-17.802)

La juridiction souligne que la cour d’appel aurait dû rechercher s’il n’y avait pas d’autres moyens de preuve plus respectueux de la vie personnelle du salarié avant d’admettre la recevabilité de ces enregistrements.

Le contrôle de proportionnalité n’avait donc pas été effectué.

 

Quels principes posés par la jurisprudence récente ?

Ce n’est qu’en décembre 2023 que la Cour de cassation a étendue sa position applicable aux preuves illicites aux preuves déloyales. (Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648)

Dans cet arrêt rendu en assemblée plénière, la juridiction souligne que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. »

Il convient désormais d’apprécier si la preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure avant de l’écarter.

Le droit à la preuve peut ainsi justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits si et seulement si cette production est indispensable à son exercice et que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Ainsi fin décembre 2023, il avait été admis qu’un employeur produise un enregistrement audio, obtenu à l’insu d’un salarié.

Dans cette affaire, le salarié réclamait le paiement d’heures de travail.

Or, son employeur lui avait demandé à plusieurs reprises de fournir le suivi de son activité, ce qu’avait refusé le salarié.

L’employeur a enregistré l’un de ses échanges avec son salarié à ce propos et a souhaité le produire dans le cadre du dossier prud’homal.

La Cour de cassation a admis la production, et la prise en compte, de cet enregistrement dès lors qu’en matière de temps de travail, la charge de la preuve est partagée entre le salarié et son employeur.

Si le salarié doit apporter des éléments laissant à penser que des heures n’étaient pas payées, il incombe à l’employeur de produire des éléments démontrant l’absence d’heures non payées.

Depuis lors, de nombreuses décisions se sont succédées et permettent de délimiter les contours de la production de preuves illicites ou déloyales.

En mars 2025, il a été admis que des témoignages anonymisés – rendus anonymes a posteriori – soient produits dans le cadre d’une instance et aient une valeur probante.

Dans cette affaire, les témoignages ont été recueillis par un commissaire de justice et les noms des salariés étaient connus de l’employeur.

L’anonymisation avait vocation à protéger les salariés qui témoignaient.

Au regard des faits portés à la connaissance de l’employeur, par le biais de ces témoignes, celui-ci a pris la décision de recueillir les témoignages, par le biais d’un commissaire de justice, officier public ministériel, qui a pour obligation de s’assurer de l’identité des personnes en sa présence.

Ces témoignages ont mis en exergue une peur d’être reconnus par leur collègue décrit comme adoptant un comportement agressif et violent, tant physiquement que verbalement.

A défaut d’une anonymisation, les salariés avaient eu tendance à édulcorer leurs récits, comme le souligne la Cour de cassation.

De tels éléments amenaient ainsi à déclarer recevable la production de témoignages anonymisés afin de justifier le licenciement pour faute grave qui a été prononcé.

 

Quels enseignements en tirer ?

Il est à souligner que la production de preuves illicites ou déloyales est possible tant pour le salarié que pour l’employeur.

L’un et l’autre peuvent donc détenir des enregistrements, par exemple, qui compromettraient la position de l’autre !

Il est donc nécessaire d’être vigilant quant aux informations véhiculées dans l’entreprise ou en dehors de celle-ci.

Enfin, à admettre qu’une preuve soit réellement illicite ou déloyale, il est indispensable de rappeler que le juge aura nécessairement eu connaissance du contenu de ladite preuve avant de l’écarter des débats…

 

Le cabinet ACTION-CONSEILS est à vos côtés afin d’analyser les tenants et aboutissants de telles preuves !