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09/06/2025 : La prévention et la protection contre le harcèlement en entreprise

Le législateur français a mis en place un système renforcé pour prévenir le harcèlement moral et sexuel en entreprise et protéger les victimes et témoins. Ce dispositif repose sur plusieurs piliers :

1° ) Les outils de prévention :

Obligation de bonne foi et de prévention de l’employeur :

Le principe consiste d’abord à considérer que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi (C. trav., art. L. 1222-1), ce qui implique un comportement loyal des deux parties.

L’employeur a une obligation générale de prévention des risques professionnels et du harcèlement (C. trav., art. L. 4121-1, L. 4121-2, L. 1152-4, L. 1153-5).

Cette obligation est distincte de l’interdiction des agissements de harcèlement eux-mêmes.

Ainsi, une victime peut être indemnisée pour la violation de cette obligation même si le harcèlement n’est pas retenu.

Pour remplir cette obligation, l’employeur doit :

  • Diffuser des informations et sensibiliser le personnel sur la législation en vigueur.
  • Mettre en œuvre des actions de formation.
  • Faciliter le repérage des faits de harcèlement.

 

L’employeur doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires (formation, information, organisation adaptée) et qu’il a réagi immédiatement dès qu’il a été informé de faits potentiels de harcèlement, même sans obligatoirement diligenter une enquête interne (Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).

Il n’est pas tenu de prévenir des faits survenus hors entreprise et non signalés. Seul le salarié directement victime peut invoquer le manquement à l’obligation de sécurité.

Obligations des salariés :

Chaque travailleur doit veiller à sa santé et sécurité, ainsi qu’à celles d’autrui (C. trav., art. L. 4122-1).

Un salarié auteur de harcèlement moral engage sa responsabilité personnelle et peut être condamné à verser des dommages-intérêts (Cass. Soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914).

Outils de prévention et d’alerte en entreprise :

Règlement intérieur : Il doit rappeler les dispositions du Code du travail relatives au harcèlement moral, sexuel et aux agissements sexistes (C. trav., art. L. 1321-2).

Information des salariés : L’employeur doit afficher le contenu des articles du Code pénal sur le harcèlement (art. 222-33 et 222-33-2), ainsi que les voies de recours et les coordonnées des autorités compétentes (médecin du travail, inspection du travail, Défenseur des droits, référents CSE et entreprise) (C. trav., art. L. 1153-5 et D. 1151-1).

Le Comité Social et Économique (CSE) :

Il peut proposer des actions de prévention contre le harcèlement (C. trav., art. L. 2312-9).

Il mène des enquêtes et peut faire appel à un expert en cas de risque grave (C. trav., art. L. 2312-5, L. 2312-13, L. 2315-94).

Il est toujours préférable de mandater un enquêteur externe tel qu’un avocat enquêteur ce qui offrira des garanties d’indépendance et d’impartialité

Il dispose d’un droit d’alerte dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Si un membre constate une atteinte aux droits des personnes (y compris le harcèlement), il en saisit l’employeur qui doit enquêter et agir.

En cas de désaccord, le Conseil de prud’hommes peut être saisi (C. trav., art. L. 2312-59).

Il est consulté sur le règlement intérieur.

Il doit désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes parmi ses membres, formé à ces missions (C. trav., art. L. 2314-1, L. 2315-18).

Référent dans les entreprises d’au moins 250 salariés :

Ces entreprises doivent désigner un référent pour orienter, informer et accompagner les salariés victimes de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes (C. trav., art. L. 1153-5-1).

Autres acteurs et procédures :

Droit de retrait du salarié : Un salarié peut se retirer d’une situation de travail s’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Bien que le législateur n’ait pas explicitement étendu ce droit au harcèlement moral, la jurisprudence a pu le reconnaître dans ce cadre (CA Riom, 18 juin 2002, n° 01/00919).

Médecin du travail : Il a une mission de conseil et de prévention du harcèlement. Il peut proposer des mutations ou transformations de postes pour protéger la santé des salariés (C. trav., art. L. 4622-2, L. 4624-1).

Inspection du travail :

Elle intervient en prévention et en répression. Elle peut exiger la modification du règlement intérieur et constater les infractions. Elle mène des enquêtes suite à des plaintes, en s’assurant de la matérialité des faits et en protégeant la confidentialité de la victime (Circ. DGT 2012/14).

Médiation en cas de harcèlement moral :

Une procédure de médiation amiable peut être engagée par la victime ou l’auteur présumé. Le médiateur, choisi d’un commun accord, tente de concilier les parties. Cette procédure n’est pas prévue pour le harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 1152-6).

Défenseur des droits : Il peut formuler des recommandations aux entreprises en cas de harcèlement lié à une discrimination et peut être invité à présenter des observations devant les juridictions.

Protection des lanceurs d’alerte :

Depuis le 1er septembre 2022, les personnes qui dénoncent ou témoignent de faits de harcèlement moral ou sexuel bénéficient de la protection des lanceurs d’alerte (L. n° 2022-401). Cela les protège contre toute mesure de rétorsion de l’employeur, comme le licenciement, la sanction, la rétrogradation, ou toute mesure discriminatoire (C. trav., art. L. 1153-1, L. 1121-2, L. n° 2016-1691).

2°) La protection des victimes et témoins de harcèlement :

Protection des victimes et témoins de harcèlement :

Le droit du travail français offre une protection étendue aux personnes qui subissent, refusent de subir, dénoncent ou témoignent de faits de harcèlement sexuel ou moral. Cette protection est renforcée depuis le 1er septembre 2022, alignant ces régimes sur la protection des lanceurs d’alerte.

Protection contre les mesures de rétorsion :

Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel (même non répétés si les propos ou comportements tombent sous la première définition de l’article L. 1153-1 du Code du travail) ou ayant, de bonne foi, témoigné ou relaté de tels faits, ne peut faire l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles (C. trav., art. L. 1153-2 et L. 1152-2).

Ces mesures interdites sont exhaustives et incluent notamment :

  • L’exclusion d’une procédure de recrutement, de stage ou de formation.
  • Les sanctions, licenciements ou mesures discriminatoires (directes ou indirectes) concernant la rémunération, la promotion, l’affectation, les horaires de travail, l’évaluation de performance, la mutation, le renouvellement de contrat.
  • Toute mesure de représailles ou menace, comme la suspension, la rétrogradation, le transfert de fonctions, la réduction de salaire, la suspension de formation, les évaluations négatives, les mesures disciplinaires (réprimande, sanction financière), la coercition, l’intimidation, l’ostracisme, la discrimination, la non-conversion ou le non-renouvellement de contrat temporaire, le préjudice à la réputation ou financier, la mise sur liste noire, la résiliation de contrats ou licences, ou l’orientation abusive vers un traitement médical.

 

Toute disposition ou acte contraire à ces principes est nul (C. trav., art. L. 1153-4).

Nullité des mesures de représailles

Le principe est clair : aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé des agissements de harcèlement moral ou sexuel (C. trav., art. L. 1152-2 et L. 1153-2).

En cas de licenciement, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle (C. trav., art. L. 1152-3 et L. 1153-4). Le salarié licencié peut alors demander :

  • Soit sa réintégration dans l’entreprise, même en cas d’inaptitude si celle-ci découle du harcèlement. En cas de réintégration, il peut prétendre à une indemnité de congés payés pour la période d’éviction.
  • Soit une indemnisation pour licenciement nul, cumulable avec une indemnité pour le préjudice subi du fait du harcèlement.

 

Pour que la nullité du licenciement soit prononcée, les juges doivent établir un lien direct et certain entre le licenciement et les faits de harcèlement dénoncés.

L’employeur ne peut pas invoquer la dénonciation du harcèlement comme motif de licenciement, sauf si la dénonciation est faite de mauvaise foi.

Si les faits invoqués par l’employeur caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il revient au salarié de prouver que la rupture est une mesure de rétorsion. Dans le cas contraire, c’est à l’employeur de prouver l’absence de lien.

Un licenciement est considéré comme nul s’il est lié :

  • À une dénonciation de faits de harcèlement par le salarié.
  • Au témoignage en faveur d’un collègue victime de harcèlement.
  • À un comportement du salarié résultant du harcèlement qu’il subit (ex: agressivité, dénigrement).
  • À une absence prolongée due au harcèlement.

 

Lien entre licenciement et état de santé du salarié :

Le licenciement pour inaptitude physique est nul si l’inaptitude est la conséquence directe et certaine d’actes de harcèlement moral commis par l’employeur.

Si l’inaptitude est la seule origine d’un état dépressif réactionnel au harcèlement, le licenciement est également nul.

Qualification des faits dénoncés :

Un salarié n’a pas besoin de qualifier expressément les faits de « harcèlement moral » pour obtenir la nullité de son licenciement si l’employeur ne pouvait légitimement ignorer, à la lecture de l’écrit du salarié, que ce dernier dénonçait bien des agissements de harcèlement.

Obstacle au signalement :

Toute personne qui fait obstacle à la transmission d’un signalement est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, ainsi que de peines complémentaires (L. n° 2016-1691, art. 13).

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